L’ermite
Je retrouve L’ermite à l’Institut Français en fin d’après-midi. Sur les gradins du théâtre de verdure, on commence à discuter et il me relate un peu son parcours…
Avant d’arriver à Dakar, L’ermite habitait à Libreville (Gabon), pays de son enfance. C’était un jeune homme peu expressif et quelque peu renfermé. Il commence à écrire à 15 ans. C’est par l’écriture que le poète s’évade. « L’écriture comme exutoire. » Il écrit beaucoup mais garde ça très secret. Ces premiers textes étaient très personnels, les personnages étaient réels. Ne voulant pas choquer ou blesser, il les gardait pour lui. Seul son jeune frère connaissait ses écrits. « Mon premier fan, mon premier public, ma première critique ».
De 2004 à 2007, il écrit toujours et rentre dans le rap. Il ne fait que ça. Influencé par divers rythmes, L’ermite puise partout et n’hésite pas à écouter du Jean-Jacques Goldman dont il apprécie l’écriture et la guitare ; Pierre Claver Akendengue artiste gabonais à la renommée internationale, et bien d’autres artistes dont il a du mal à se souvenir tant il y en a. « Ma mémoire me joue souvent ce tour ». Il se détache du rap et commence à s’intéresser à l’art qui occupe ses heures désormais : le Slam. Il se renseigne sur les dates des scènes Slam de Libreville mais reste observateur, voulant être sûr de ce qu’il faisait. « Et je ne voulais pas être contaminé par le style des autres. »
En arrivant à Dakar en 2009, L’ermite poursuit son désir de prendre part à ce mouvement et s’intéresse aux scènes et différents sites culturels locaux. « J’ai voulu me fondre dans la masse. » . C’est lors de sa première soirée slam au restaurant « Le Point E », qu’il éprouve le besoin et l’envie de monter sur scène. Il n’en fait rien ! Le temps passe, L’ermite se concentre sur ses cours… Ce n’est qu’en juillet 2010, qu’il fait sa première scène avec son texte : ROSE NOIRE. « Arrivé simple comme à l’époque, je ne me souciais pas trop de grand chose, je voulais juste dire ce que je pensais. Ceux qui m’ont montrés de l’admiration ce jour là… je sais pas…, continuent encore. Et ça pour moi c’est incroyable ! Tout a vraiment commencé ce jour là. » Et depuis telle une addiction, il ne peut plus arrêter. Le Slam lui a permis de vaincre sa peur de la foule, du regard des autres, il y a retrouvé sa confiance en lui. C’est très touchant de l’entendre parler du slam de cette façon. « J’ai traversé sans savoir que j’étais passé. »
D’origines sénégalaises du coté maternel, L’ermite a toujours été attiré par le Sénégal. À Libreville, Il écrivait, pensait, réfléchissait mais il lui manquait quelque chose, un cadre. Il lui fallait se découvrir et renouer avec cette partie de lui. « On sait tous que les voyages ouvrent l’esprit. Et pour moi, bienvenue à Dakar, c’est vraiment vas-y envole toi… Ici je suis libre !» L’ermite trouve alors les mots et le courage. Il assume son choix et parle de sa passion à sa famille. Tout en continuant ses études, tout en ayant des envies de carrière, il se consacre à sa passion : le SLAM. Sa famille le soutient et fait le déplacement pour le voir sur scène.
L’ermite essaye de rester vrai, de respecter ce qu’il est ; il se découvre. On ne peut le mettre dans une case. Lui-même a du mal à se définir. « Je suis plutôt simple et gourmand. Je veux apprendre de chaque expérience » Il a cette curiosité qui le pousse toujours plus loin. Cette quête de savoir. Généreux, il donne de sa personne, et il apprécie cela. Ce qui fait que ses textes nous touchent encore plus. Il partage avec sincérité cette poésie abordable à chacun et en même temps riche de style.
C’est un des membres actifs du collectif Vendredi Slam, depuis plusieurs mois maintenant. C’est devenu une seconde famille pour lui. Il l’apprécie d’autant plus parce que chacun à son identité, son style et son originalité. « Personne ne se laisse imprimer le caractère de l’autre, le style de l’autre, chacun à sa vision. » Dans le collectif L’ermite reste celui qu’il a toujours été. L’individu qui essaie de saisir un mot du wolof qui se parle de temps à autre entre les autres membres… « Bien que comprenant quelques mots et m’exprimant, je dirais assez passablement, c’est pas toujours facile mais ça ira ! »
Mais une chose me trotte encore dans la tête : pourquoi Lermite ? A cela il me dira que c’est parce qu’il a toujours été dans son coin, un peu détaché des habitudes des autres, peu visible ; en souvenir de ce temps qui l’a mené à cet art. Cette époque pendant laquelle il passait son temps sur des feuilles, dans sa chambre comme « un ermite dans une grotte… » Quand il est sur scène, L’ermite, l’autre lui, libère tout ce qu’il a en lui d’amour, de rage, de joie et même de peine.
A Dakar, il a pour la 1ère fois enregistré en studio et ce fut dans les locaux de Tek Vibes. Au tout début de l’aventure, bien avant de démarrer avec le Vendredi Slam. Rose Noire y est travaillé et même un texte encore inconnu du public qu’il a bien voulu annoncer aux lecteurs de Wakh’Art Sn : « Du courrier pour mon père » qu’il compte rendre publique d’ici à dans un mois. L’ermite protège tout ce qu’il a d’intellectuel. Il tient à ses écrits, comme si c’était ses enfants. Il ne se presse plus comme à son jeune âge et attend… « L’écriture m’a appris la patience. »
Je demande à L’ermite son avis sur le climat politique actuel.«Je suis apolitique !»
Le mouvement du 23 Juin, ne lui a plu, ni déplu. Il se demande si les manifestations ont étés autorisées par les administrations compétentes. Il trouve que cela leurs auraient donné plus de crédibilité. Mais comme lui je suis d’accord pour dire qu’il ne faut pas faire n’importe quoi. L’ermite désapprouve, les meurtres, les viols, et les saccages de biens publics qui profitent à tous les sénégalais. « Je n’étudie pas de droit, je fais de la littérature. Et il y a des chemins en accord avec la loi pour faire les choses. »
L’ermite soutient que les juristes de ce pays devraient éduquer les populations. Leurs apprendre quels sont les procédures à suivre pour se faire entendre, quels sont les droits du peuple. Pour penser à son pays, il faut voter. « Mais les élections en Afrique, c’est toujours la même chose. Les gens parlent volontiers mais ne vont pas voter. Ils ont peur. Il faudrait que le peuple ait envie de savoir ce qui se passe autour de lui.» Lermite apprécie le système européen de ce point de vue-là. Les recensements, les statistiques, problématiques sur l’éducation etc…
L’éducation fait partie des problèmes à résoudre au Sénégal. Il faut reprendre les fondations pour construire les bases solides d’une maison. Il aime à dire dans son entourage : « Même si nous ne sommes pas développés, on a une bonne position. Les autres ont pris de la vitesse, mais on a vu les chemins qu’ils ont empruntés. On peut sauter toutes ces étapes, et ne pas faire les mêmes erreurs qu’eux.»
Son message : « Soyez là, restez dans les parages. Aujourd’hui c’est L’ermite, qui sait demain ça pourrait être un artiste bien plus connu et dans un domaine qui vous plaira encore plus que le Slam. C’est toujours de la culture, de la découverte. J’encourage les gens à aller sur le blog et à participer à l’évolution de cette initiative. On a tous besoin des avis des gens pour avancer. Et surtout croyez en Wakh Art, moi j’y crois !!! »
texte co-écrit avec L’ermite