Hot! Cornelia et Holger Lund

Cornelia et Holger Lund

J’ai rencontré Cornelia et Holger, deux universitaires allemands de venu à Dakar, dans le cadre de recherches sur différents aspects liés à la culture au Sénégal. Un après-midi de février, autour d’un café, Cornelia et Holger acceptent de répondre à quelques questions pour la plateforme culturelle Wakh’Art.

Cornelia & Holger, qui êtes-vous ?

« Nous avons des identités multiples. D’abord, nous sommes deux universitaires. »

Cornelia : « Je travaille dans un projet de recherche sur le cinéma documentaire allemand et parallèlement je travaille sur la théorie du design. Holger, est professeur des théories du design à la DHBW Ravensburg.

Il y’a quelques années, dans le sud de l’Allemagne, on animait un espace culturel nommé « fluctuating images ». En 2008, nous avons déménagé à Berlin. Depuis on collabore avec d’autres espaces culturels où l’on présente surtout des œuvres liées aux nouveaux médias et au design. Nos évènements ont toujours été des espaces d’expérimentation, libre d’accès.

Mais ce qui nous tenait à cœur dès le début c’était d’ouvrir un espace discursif. En 2004, on a commencé à organiser des workshops pour que les artistes et les universitaires puissent échanger. A cette époque ce dialogue n’était pas encore très développé. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l’audiovisuel. En 2000, nous avons commencé notre étude sur le Veejaying. A l’époque, nous étions parmi les premiers chercheurs à étudier ce phénomène. Depuis ça, c‘est bien développé. Entre autres, nous avons publié des articles et livres sur la production artistique audiovisuelle, notamment Audio.Visual – On Visual Music and Related Media (2009) et  The Audiovisual Breakthrough (2015). De ces performances visuels ; nous avons aussi commencé à travailler sur la vidéo musicale. »

 

1_Cornelia Holger Lund ReFokus Hamburg

 

Holger : « En parallèle, j’ai aussi fait des recherches sur la musique hybride Turque, le Rock d’Anatolie des années 60, 70. J’ai travaillé sur l’étude des mélanges entre la musique rock globale américaine et les traditions de la musique d’Anatolie. C’était très fascinant. Par la suite, j’ai recommencé à faire du deejaying. Ici sont mes re-releases : http://www.corvorecords.de/releases_gpfw.html

Avec Cornelia, nous avons aussi fait beaucoup d’expositions et de screenings. La plupart du temps, les films que nous choisissons pour un screening sont centrés autour d’un sujet, comme par exemple des développements . C’est aussi une des raisons pour lesquels nous sommes venus au Sénégal : le premier pas vers ce voyage était notre intérêt pour le vidéo clip africain, car nous nous sommes rendus compte que, ces dernières années, beaucoup des vidéos clips les plus intéressants sont produits en Afrique. Ça nous a donné envie d’en apprendre plus… Le deuxième pas était la projection du film de Sandra Krampelhuber, 100% Dakar, à Berlin, un projet qu’ on a beaucoup aimé. Ça nous a donné envie de venir à Dakar pour commencer notre recherche. »

Votre recherche va-t-elle vous emmener vers d’autres pays d’Afrique ?

Cornelia : « Nous avons encore rien prévu. Nous voulions d’abord voir comment ça se passe. C’est une recherche ouverte qui dépend des pistes et des obstacles. On va voir où ça nous mène. Pour nous c’est un grand luxe d’avoir autant de liberté. Habituellement dans le milieu universitaire, il faut adapter la recherche au budget, avoir un agenda etc. Là, c’est notre projet à nous, on est très libre. »

Holger : « On est venu pour écouter et voir où ça nous mène. On n’a pas prévu d’écrire un texte défini, ce qui serait normal dans un projet défini. L’indéfini c’est essentiel, ça nous donne une liberté qui devient très rare dans le milieu des études. »

Est-ce que c’est une façon pour vous de continuer dans votre résistance ?

Cornelia : « Oui, peut-être. C’est vrai que depuis un moment on lutte un peu avec où contre un système qui se rétrécit, qui devient de plus en plus stricte. L’espace universitaire en Allemagne, la recherche, l’éducation, c’était un système assez à part, un système spécial, qui, avec l’Union Européenne, a été conformé, le système universitaire a été homogénéisé en Europe, tout est censé être égal et pareil maintenant. Beaucoup de gens en Allemagne regrettent cet ancien système. Ce n’est peut-être pas notre cas, mais c’est vraiment une question de résistance car l’esprit ne peut pas toujours se plier aux règles.

On doit être libre pour pouvoir penser et trouver des choses. Si on ne résistait pas on ne ferait jamais ce qui nous intéresse vraiment. Ce ne serait que du travail de commande.

 

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Holger : « Le sujet d’une nouvelle géographie, ça aussi c’est très important pour nous. Les mouvements de migrations et d’immigrations sont très intéressants. Par exemple, on remarque le phénomène inversé de migrations. Les sénégalais, par exemple, rentrent de plus en plus, chez eux pour construire et réussir… Les raisons pour lesquels l’avant-garde créative rentre en Afrique, voilà quelque chose qui nous intéresse, surtout quand on voit que l’avant-garde créative européenne est fatiguée. (Rire)
En Europe on met une carotte pour mettre les gens en marche et qu’ils avancent dans une certaine direction. Et par rapport à ça, nous faisons une vraie résistance. On ne s’intéresse pas aux sujets conditionnés ou imposés par les autorités. Notre but c’est de voir plus loin, pas seulement ce qui est donné par des autorités qui ont des fonds. »

Cornelia : « Nous sommes toujours intéressé par de nouvelles idées, qui se passent ailleurs. Tu disais que l’Afrique est à la mode, c’est vrai, mais ce n’est pas encore dans l’esprit de beaucoup de gens. Peut-être que le « mieux vivre » n’est pas forcément originaire de l’Europe, peut-être que c’est un mythe et que ce n’est pas le seul model valable. Peut-être que la question n’est pas de vivre mieux, mais d’avoir une vie intéressante ou de vivre autrement.

Ce qui nous intéresse, c’est comment : « Quand on évolue dans une micro-économie, comment ça fonctionne ? Comment la culture sans soutient étatique parvient à exister ? »

Holger : «  Nous avons remarqué beaucoup de différences entre nos deux cultures. Les gens n’ont pas le même rapport aux animaux domestiques. Dans les maisons, il y’a des moutons ou des chèvres. Les personnes âgées sont dans les familles. Chez nous, ils sont séparés de leurs familles, ils sont dans les maisons de retraites où ils attendent de mourir. Le mode de vivre ensemble est totalement différent ici…

Nous attendons une sorte d’africanisation de l’Europe. Pas au sens des populations, au sens du climatique. A cause de la crise climatique, dans dix ans, en Allemagne il fera probablement 45 degrés. Donc il faut qu’on apprenne de l’Afrique et qu’on s’adapte à l’évolution et aux changements. Comment vivre avec des températures pour lesquels aucunes mesures ne sont prises ? Nous avons besoin de l’aide de l’Afrique urgemment, pour nous préparer à ce qui va venir. Les gens refusent ce constat, mais les scientifiques et les chercheurs l’ont signalé. »

Ou est-ce que vous voyez dans dix ans ?

Cornelia : « Nous avons renoncé il y’a longtemps à faire des projets sur le long terme. D’abord, c’est le refus. Une partie de résistance face à cette néo-libéralisation où il faut toujours se construire. Ensuite, c’est qu’il est aussi difficile de faire des projets. Dans la recherche nous avons des contrats d’un an, je ne sais donc pas où je serais dans quatre ans. Ce qu’on souhaite vraiment, c’est de rester aussi ouvert et libre qu’aujourd’hui. On accepte en revanche, que l’on n’ait jamais les postes que d’autres, qui, eux, se concentrent sur leur carrière, auront. Mais cela nous permet de faire ce qui nous intéresse et de travailler sur des choses qui font du sens. On ne vit qu’une fois ! »

 

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Holger: « Le Futur est déterminé en grande partie par le passé. Le Futur, c’est aussi d’être sensible aux nouvelles générations qui créent des choses hors de notre entendement. Il faut suivre ces mouvements. Les gens qui trouvent des solutions, souvent, ce ne sont pas les vieux, ce sont les jeunes. Ces nouvelles générations sont très nombreuses en Afrique. La culture de la jeunesse est une des traits caractéristiques les plus importants ici. Avoir l’esprit de l’expérimentation et être ouvert à des innovations, c’est çà avoir un esprit jeune. Et aujourd’hui, le constat que nous faisons c’est la puissance extraordinaire de cet esprit en Afrique. »

Vous écoutez beaucoup de musique. Quel est votre Top5 du moment?

Holger : « Mumdance. C’est un artiste anglais. Ces travaux sur la musique comme sound-design sont très intéressants. Il ouvre de nouveaux espaces sonores. Mikael Seifu, un artiste éthiopien et américain. Il a sorti seulement trois EPs, mais il a créé une musique équilibrée entre le global club et la musique traditionnelle Ethiopienne. Il crée aussi une musique hybride. La fusion est très bien faite. Umlilo, un artiste du Cap en Afrique du sud. Il fait partie de la communauté homosexuelle/queer Il fait des vidéos avec les membres de cette communauté, des danseurs, des performeurs etc., et avec des designers autour de la mode. C’est surprenant ! El Mahdy Jr. C’est un artiste algérien qui vit à Istanbul. Il prend la musique traditionnelle « arabesque » et fait une fusion avec de la Dub électronique. Volga Coban, un ami turc de la nouvelle génération, qui puise dans la musique traditionnelle turque, présente une re-release de la musique jazz-funk turc de Özdemir Erdogan. Son projet sort dans trois semaines comme vinyle LP.

Avez-vous un conseil à donner à la jeunesse ?

Holger : « Restez Jeune (dans l’esprit). Même si ce n’est pas facile, car toutes les institutions travaillent à nous vieillir. André Breton disait que quand tu vieillis, et que tu regardes ta vie, les meilleurs moments resteront toujours ceux liés à l’enfance. Car c’est le temps des libertés et du merveilleux, c’est le moment où tu peux percevoir le monde comme tu l’entends. C’est aussi la définition de la créativité. Tu as n’importe quoi et tu peux faire n’importe quoi avec. »

Cornelia : « Ce qui va avec le conseil de rester jeune, c’est de poser des questions, de ne pas accepter les choses comme elles sont. C’est de tous remettre en question. S’interroger sur soi-même, sur l’environnement. Avec la remise en question, il y’a aussi l’ouverture aux choses.

Retrouver Cornelia & Holger 

www.fluctuating-images.de/en
www.mediendesign-ravensburg.de/en/

The Audiovisual Breakthrough : http://www.ephemeral-expanded.net/audiovisualbreakthrough/
Post-Digital Culture : http://post-digital-culture.org/

 

DCIM100GOPRO

Articles sur norient.com :
http://norient.com/academic/gender-shifting-music-video/
http://norient.com/academic/anatolian-rock/

Global Pop First Wave/corvo records : http://www.corvorecords.de/releases_gpfw.html

Vidéo : https://vimeo.com/98716468

Images:

1 Cornelia et Holger présentent The Audiovisual Breakthrough chez Re:fokus à Hambourg, déc. 2015

2 Cornelia et Holger présentent le vinyle Saz Beat II leur article sur « Style and Society – Istanbul’s Music Scene »  chez Echo Bücher à Berlin, jan. 2016

3 fluctuating images : exposition multimédia de Robert Heel et d’Eva Maria Offermann, Berlin 2013

 

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