Hot! Adama Djigo

Adama Djigo ,

présente l’ Histoire des Politiques du Patrimoine Culturel au Sénégal 

 

Qui êtes-vous ?

Je m’appelle Adama Djigo-Fall, je suis historienne-chercheuse associée au Centre de Recherches Africaines (African Studies Centre) de Leiden Pays-Bas, auteure du livre Histoire des politiques du patrimoine culturel au Sénégal (1816-2000), paru aux éditions L’Harmattan à Paris, le 17 juin 2015.

Je suis née au Sénégal où j’ai fait une grande partie de mes études. Après l’obtention du DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies) en Histoire (en 2001), je suis allée en France (fin 2002), pour poursuivre des études supérieures en Doctorat à l’Université de Paris1-Panthéon Sorbonne, UFR Histoire.

Je suis mariée et je réside ordinairement à Rotterdam (Pays-Bas), depuis 2005, avec ma petite famille mais je vais périodiquement en France et au Sénégal dans le cadre de mes activités de recherches et pour revoir ma parentèle au Sénégal.

 

photo Adama 084

 

Est-ce votre premier ouvrage ?

Oui il s’agit de mon premier livre.

Pourquoi avoir écrit cet ouvrage ?

Ce livre est extrait de ma Thèse de Doctorat intitulée Dynamiques et stratégies de conservation et de promotion du patrimoine culturel au Sénégal de l’administration coloniale à l’an 2000, sous la direction du Professeur Jean-Paul Demoule, soutenue en séance publique à la Sorbonne le 31 janvier 2013 (voir photos). La thèse a reçu d’excellentes appréciations du jury, qui l’a honorée en lui accordant la plus haute des distinctions universitaires, à savoir la « Mention très honorable avec les Félicitations à l’unanimité ». Les membres du jury m’avaient encouragé vivement à publier rapidement ma thèse, qualifiée par l’un d’eux de magistrale, afin de la diffuser auprès d’un public plus large. J’ai donc cherché, à travers l’édition de ce livre, à concrétiser les conseils et vœux du jury.   

Quel en était l’objectif ou les enjeux ?

L’idée d’orienter mes recherches, dans le cadre d’une thèse doctorale, en direction de l’histoire de la notion de patrimoine culturel au Sénégal fut émise par celle que je considère comme mon Mentor dans le domaine de la recherche sur le patrimoine. Il s’agit de Dr. Marie-Amy Mbow, préhistorienne, ancienne Maître-assistant à l’IFAN-CAD et actuelle Conseillère culturelle de l’Ambassade du Sénégal à Paris. Elle assurait mon encadrement scientifique, en collaboration avec les professeurs Brahim Diop, Mbaye Guèye et Paul Ndiaye, en vue de la réalisation de mes Mémoires de Maîtrise et de DEA à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Département Histoire.

La thèse prolongeait des réflexions engagées sur le patrimoine culturel et naturel dans le cadre de mes travaux en Maîtrise et DEA, recherches menées dans plusieurs villages de la Réserve de Biosphère du Delta du Saloum, portant sur l’exploitation en carrières des amas coquilliers (sites archéologiques) ainsi que sur les croyances et pratiques traditionnelles liées aux lieux de mémoire. Ces études ont confirmé que les amas coquilliers sont menacés de destruction irréversible en raison de l’exploitation intensive en carrières de coquillages par une filière commerciale organisée. Le souci de la préservation des amas coquilliers en tant qu’héritage historique, culturel et archéologique n’est pas encore envisagé par les riverains des sites. Pourtant, dans cette même zone, les communautés préservent et perpétuent la mémoire et les traditions liées aux lieux de culte ancestraux et autres sites sacrés et mémoriels. Au regard de ces différences de sensibilité patrimoniale des populations du Delta du Saloum, vis-à-vis de différents types de patrimoine, il a paru nécessaire de mener un travail de décryptage et d’analyses croisées (deux étudiants en géographie ont travaillé sur le même thème) de la dynamique et de la gestion du patrimoine culturel au Sénégal, dans le but de comprendre la dualité dans l’appropriation de patrimoines.

Cette thèse s’expliquait aussi par le fait qu’au Sénégal il n’y avait pas encore d’étude spécifique menée sur l’histoire des politiques culturelles et l’évolution de la notion de patrimoine, alors que la problématique patrimoniale est une question d’actualité nationale et internationale. Le travail de recherche publié dans ce livre est conçu pour répondre à une double exigence :

  • d’une part prolonger un travail de réflexion sur les atteintes d’origine anthropique portées à certains aspects du patrimoine culturel sénégalais et les difficultés liées à la protection patrimoniale ;
  • d’autre part, produire une étude à part entière consacrée à l’histoire et l’évolution de la notion de patrimoine culturel au Sénégal.

 

9782343063645r

 

Pouvez-vous en quelques mots présenter votre analyse sur le patrimoine culturel sénégalais aujourd’hui?

Le Sénégal regorge d’une diversité de communautés socioculturelles qui, elle seule, est révélatrice d’une richesse de son patrimoine culturel. Le Sénégal, dans ses limites géographiques actuelles et son appellation, est un produit de l’impérialisme colonial français. A partir de 1816, la France entreprit de s’installer effectivement au Sénégal, où elle était déjà présente depuis le XVIIe siècle avec la fondation du comptoir de Saint-Louis vers 1659. A la date de l’installation française effective, le Sénégal comprenait alors Saint-Louis et ses dépendances notamment Gorée et les établissements de la Petite Côte, Rufisque, Joal et Portudal. Le colonisateur conquit progressivement diverses entités politiques et sociales : les royaumes précoloniaux wolof comme le Walo, le Djolof, le Cayor et le Baol ; ceux sereer du Sine et du Saloum ; celui pulaar du Tékrour ou le Fouta Tooro ; ceux soninke comme le Khasso et le Gadiaga ou le Galam ; ceux manding comme le Niani, le Wouli, le Bambouk, le Badibou ; et les différentes principautés de la Casamance (joola, manding, balant, baïnuk). Il tenta d’uniformiser différentes communautés socioculturelles (les Wolof, les Soninke, les Hal-pulaaren, les Maures du Cayor, les Sereer, les Mandinka, les Joola, les Balant, les Baïnuk, les Peul du Fouladou, et autres) à l’intérieur du territoire dénommé la colonie du Sénégal. Un nouvel ordre colonial, avec un gouvernement et une administration de type européen, se cristallisa jusqu’à l’indépendance du Sénégal en 1960. Les différentes communautés socioculturelles regroupées dans la colonie du Sénégal qui est devenue, en 1960, un Etat indépendant et souverain sont chacune porteuse d’un héritage identitaire spécifique, bien qu’il y ait des convergences culturelles. Ce patrimoine culturel est véhiculé par les langues, traditions et mémoires historiques orales, systèmes de valeurs, pratiques et croyances religieuses (ancestrale, islamique ou chrétienne), techniques et arts (l’habitat traditionnel, le folklore (la danse, la musique, le chant, etc.), les instruments de travail, les objets cultuels, l’art culinaire ou vestimentaire, etc.), modes de vie, etc. A ce patrimoine identitaire et spirituel, s’ajoutent les expressions culturelles et pratiques du patrimoine qui sont venues de l’Occident ou des autres possessions coloniales françaises. Cette perception patrimoniale est représentée par la préservation du bâti ancien (principalement colonial), l’art moderne (la peinture, la tapisserie, la sculpture, le cinéma, la chorégraphie, le théâtre, etc.), la muséologie, la conservation d’archives administratives, l’archéologie, etc. Ces nouvelles expressions culturelles et pratiques patrimoniales, importées par les colonisateurs ont été préservées et développées par les autorités de l’Etat sénégalais indépendant, notamment sous le magistère du Président Léopold Sédar Senghor (1960-1980) qui a soutenu une politique active dans le domaine de la culture.   

Bref on peut dire que le Sénégal possède aujourd’hui un patrimoine culturel diversifié. La composition hétérogène de la population sénégalaise a favorisé la production et le développement d’une culture hybride avec des influences africaine, arabo-musulmane et européenne. Mais les différentes composantes du patrimoine culturel sénégalais sont différemment appropriées par les populations. L’idée et la pratique du patrimoine telles qu’elles se sont développées chez les Sénégalais se rapportent surtout au patrimoine de leur famille et communauté identitaire (ethnique ou religieuse). Beaucoup d’aspects du patrimoine culturel national, tels les sites et monuments historiques, sont aujourd’hui ignorés et laissés en marges par les citoyens. La préservation de ce type de patrimoine relève uniquement du domaine de l’Etat. Dans mon livre j’analyse, en suivant la trajectoire historique des politiques culturelles coloniale et postindépendance, pourquoi les Sénégalais ont cette perception tronquée de la notion de patrimoine, différente de celle développée dans les milieux intellectuel et institutionnel.

 

Votre analyse sur les industries culturelles sénégalaises aujourd’hui ? 

Depuis les années 1990, sous le magistère du Président Abdou Diouf (1981 à 2000), on note un développement de plus en plus important des industries culturelles, surtout dans le domaine de la musique. La crise économique et financière qui a secoué le Sénégal a partir des années 1980 (ajustements structurels des années 1980-1990, dévaluation du Francs CFA en 1994) avait contraint l’Etat sénégalais à revoir les politiques de développement économique et les instances du gouvernement. La politique culturelle que le gouvernement senghorien a impulsé avec tant de foi, s’est trouvée freiner dans son essor. Les budgets des diverses institutions sont réduits et certains services culturels sont supprimés (le Musée Dynamique, le Commissariat général des expositions d’art sénégalais à l’étranger, les Archives Culturelles du Sénégal, le Centre d’Etudes des Civilisations).  Avec l’effacement de l’Etat de la sphère culturelle, il y a eu un sursaut des artistes et acteurs culturels. Sevrés de financements étatiques, ils ont repris en charge les choses en main. Ceci a marqué leur autonomie vis-à-vis de l’Etat, qui jusque là était le seul promoteur de la création artistique. Depuis lors, on assista à la libération des imaginations créatrices et novatrices, un foisonnement de jeunes talents et de nouvelles pratiques de la culture (les productions iconographiques et statuaires du mouvement set-setal, le hip-hop, les journées culturelles communautaires, etc.) prenant en compte la culture locale. Dans le domaine des arts plastiques, la crise a provoqué l’invention d’une nouvelle technique et d’une nouvelle esthétique par l’utilisation de matériaux de récupération. Des arts populaires sont consacrés, grâce à l’aide des expatriés détenteurs de galeries d’art ; les productions officielles illustrant la négritude senghorienne, soutenues par une politique culturelle élitiste, sont supplantées. Dans le domaine de la musique on note l’avènement de capitaines d’industries musicales, tels que Talla Diagne, Youssou Ndour et El Hadj Ndiaye qui ont développé des maisons de productions permettant d’assurer la publication d’œuvres de jeunes talents du mbalax et du hip-hop. Les arts scéniques, notamment le théâtre, ne sont pas en reste dans le foisonnement de jeunes talents. Les comédiens, diplômés de la Section art dramatique de l’Ecole Nationale des Arts, se sont organisés en compagnies privées de théâtre professionnel telles les « Gueules Tapées », les « 7 Kouss », le « Zenith Art », le « Waax Tacc », le « Théâtre de la Rue », le « Faro Théâtre », etc. Bref on note le développement d’initiatives privées malgré l’insuffisance d’appui financier de l’Etat ce qui permet d’assurer la promotion des talents et du patrimoine culturel sénégalais qui s’exporte de plus en plus.

Quelles sont vos ambitions pour cet ouvrage ?

Naturellement, je souhaite que ce livre ouvre pour moi des brèches fructueuses pour une carrière professionnelle. Je souhaite qu’il stimule de nouveaux débats et des réflexions prospectives autour de la notion de patrimoine permettant d’approfondir les thèmes de recherche dans ce domaine. Qu’il figure parmi les références qui permettront aux autorités politiques africaines ainsi qu’aux experts, nationaux et internationaux, spécialistes du patrimoine de réajuster les politiques culturelles afin de les connecter aux réalités vécues par les populations et aux intérêts divergents des citoyens. Enfin j’espère qu’à long terme toutes ces réflexions et politiques susciteront une appropriation par les populations de toutes les composantes de l’héritage culturel sénégalais, gage incontournable de la préservation du patrimoine national et universel.

 

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Quels sont les projets (liés au livre) que vous avez prévus pour cette fin d’année 2015 ?

Comme tout nouveau produit, il faut assurer la diffusion et la promotion en vue de le faire connaitre au public. Donc l’accent sera mis sur ce volet à travers les réseaux scientifiques et institutionnels, ceux des journalistes et blogueurs culturels. Dans un premier temps, je suis en train de faire passer l’information et suivant les disponibilités des responsables des différents réseaux ciblés, des interviews, participations à des rencontres scientifiques, cérémonies de signature, etc. seront planifiés et effectués en fin 2015 et début 2016.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Un jalon important dans la carrière de chercheur en sciences humaines a été posé, il convient tout de même de confirmer et de consolider les choses. Je compte poursuivre mon travail personnel de réflexion sur le patrimoine culturel du Sénégal et pour cela des projets de recherches seront poursuivis et développés au fur et à mesure avec un partenariat sénégalais et international, notamment avec des chercheurs et professionnels du patrimoine avec qui j’ai déjà tissé des liens de collaboration.   

Avez-vous un conseil à donner aux jeunes auteurs ?

Mon conseil c’est de poursuivre son objectif dans la patience, être ouvert et attentif aux remarques et critiques. Dans le domaine des sciences humaines il faut interroger les sources et les acteurs, faire un vrai travail de terrain.

Quels sont vos pairs ? (ceux qui vous inspirent au quotidien)

Je suis inspirée par les personnes de principes qui ont été très influentes dans mon éducation familiale. Un repère identitaire important de la famille est mon grand-père maternel Thierno El Hadj Amadou Dème de Sokone, écrivain et dignitaire musulman sénégalais ; il est auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam dont Diya-u-nayirayni (L’éclat du soleil et de la lune ou encore La lumière des deux lumières), une exégèse du Coran en vingt volumes. Je suis aussi inspirée par ceux avec qui j’ai cheminé dans la recherche et qui ont suscité en moi l’amour du patrimoine, mais aussi par mes lectures.   

Votre livre ou auteur favoris ?

J’aime bien relire les œuvres d’Amadou Hampathé Bâ.

Votre dernière lecture ?

Bernard Cros et al. Penser et gérer la diversité en société : regards sur l’Afrique, Paris, L’Harmattan, 2013.

Puis-je avoir votre mot de la fin ?

Je vous remercie pour m’avoir permis de s’exprimer à travers ce blog, je vous encourage vivement dans votre travail et vous souhaite beaucoup plus de succès. Je remercie aussi, pour ne pas reprendre ici la longue liste des personnes qui m’ont soutenu, tous ceux qui de près ou de loin ont contribué à la publication de cet ouvrage.

Le Livre est disponible chez l’Harmatthan. http://editions-harmattan.fr

 

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