Entretien avec Wagane Gueye
De passage à Ouakam, je visitais l’exposition Ponctuation et profitais de la présence du commissaire Mr Wagane Gueye, à l’initiative de cet évènement pour l’interroger sur diverses questions liées au marché de l’art. Pendant que la radio, criarde, annonçait les résultats de l’élection présidentielle, autour d’un Bissap frais, installé dans la cour de l’espace l’acteur culturel m’apportait sa lecture et ses contributions sur la scène culturelle sénégalaise ….
Ponctuation
« Le projet Ponctuation est une parenthèse.
J’étais entrain de préparer deux expositions individuelles pour avril et mai 2019,notamment l’une avec Jean Marie Bruce et la seconde avec MartineNostron, quand j’ai décidé de monterPonctuation . Je réfléchis aussi à une troisième exposition avec deux artistes togolais Kwami Dacosta et KomlaEza. Ils font d’ailleurs partie des artistes exposés à Ponctuation.
On s’était dit qu’avec la période électorale, il serait difficile, pour diverses raisons de programmer quelque chose et finalement début janvier, on s’est dit pourquoi pas ! Les activités qu’elles soient économiques ou culturelles doivent continuer. Je me suis dit qu’on n’allait pas mettre tout en standby. Il était important pour moi de ne pas rester deux mois sans rien faire. Le titrePonctuation est venu de cela, une parenthèse, une virgule dans l’agenda culturel dakarois.
La majorité des artistes exposés à Ponctuation, je les connais de longue date. Pour d’autres, il s’agit de nouvelles collaborations. Je fidélise les artistes avec lesquels je travaille. Jene dirai pas qu’il ya un label, mais ce sont des artistes avec qui nous construisons une relation de confiance, une relation d’agent à artistes. Aicha Aidara qui est présente dans l’exposition, c’est une amitié longue de vingt ans. C’est l’une de mes plus anciennes relations de travail. Avec le plasticien Ibou Diokhane, nous travaillons ensemble depuis 1999. Donc du point de vue du choix de l’artiste à exposer, c’est assez facile à mon niveau. Je me concentre sur les artistes avec qui j’ai établi une relation de confiance, ancienne où plus récente, et bien sûr dont j’apprécie le travail. Un travail que je connais et que je peux défendre. Je crée un collectif, même si les artistes sont libres de collaborer avec d’autres. C’est eux que je présente dans mes expositions et notamment Ponctuation.
C’est un travail de longue haleine si l’on veut présenter un artiste et bâtir avec lui une carrière, c’est un accompagnement, de la promotion, une certaine communication. Il peut y avoir des flashs momentanés, mais je ne suis pas dans cette démarche à court terme. Les artistes pour lesquels je « mouille le maillot » sont des artistes avec qui j’ai une relation durable et transparente.Nous travaillons sur le long terme. Qu’il s’agisse d’Aicha où d’Ibou, je connais leurs publics, j’ai des archives sur leur travail depuis des années. Je suis donc en mesure de bien les présenter. C’est comme cela que l’on construit une carrière, il ne faut pas se leurrer, que ce soit dans la musique ou dans les arts visuels il faut professionnaliser les choses…
Trois artistes exposés durant ma précédente exposition, Trigritude,Aicha Aidara, Kiné Aw, Dieynaba Baldé ont été choisies pour aller exposer aux Comores. Ce fut une belle opportunité pour elles et leurs œuvres. La commissaire des Comores est venue ici et après un échange fructueux, elle a choisi ces femmes pour présenter leurs travaux dans ce Festival. Par ailleurs, on peut me solliciter et je travaille sur des collaborations ponctuelles, comme à la Galerie Nationale d’art ou sur d’autres expositions.
Que pensez-vous du marché de l’art et la place de l’art visuel au Sénégal et dans le marché international ?
« Ça me fait beaucoup rire quand les gens disent qu’il n’ya pas de marché de l’art ici. Il y en a toujours eu un. Dire cela c’est méconnaitre le passé de ce pays. Les premiers marchés sont apparus sous Senghor, avec les commandes d’Etat. L’année dernière, j’ai travaillé sur la collection des Cours Sainte Marie de Hann et du regretté Victor Emmanuel Cabrita. Il avait une collection privée et a énormément acheté pour les Cours Sainte Marie de Hann. Il ya au minimum 1000 pièces aux Maristes. Victor Cabrita a suivi les pas de Senghor en se lançant dans le mécénat et l’achat d’œuvres d’art sénégalais. La collection de la BCAO, c’est trente ans d’art sénégalais et de l’Afrique de l’Ouest, c’est une collection considérable ! Je ne parle même pas des autres banques, qui ont elles aussi des collections importantes. L’Etat sénégalais a lui aussi acheté bon nombre d’œuvres et possède une collection incroyable ! Là ce qui manque c’est d’étudier le marché et d’évaluer ces collections. Il ya un travail de recherche dans les archives et de statistique à faire. Je ne partage pas l’opinion de ceux qui disent qu’il n’y a pas de marché. Il ya également des collectionneurs privés qui ont des centaines de pièces, ils restent anonymes mais sont bel et bien présent et possèdent des pièces inestimables.
Pour le marché actuel : Dakar,est une place qui compte. Beaucoup d’artistes du continent viennent ici pour se lancer, se faire connaître et donner à leurs travaux toutes les chances. Le Roi du Maroc, Mouhamed VIà chacun de ces passages à Dakar flambe le marché ! Il est passé aux villages des arts et dans toutes les galeries de Dakar. Il y a également une partie de la bourgeoisie sénégalaise qui collectionne, les frères Yerim et Oumar Sow et j’en passe. Les galeristes dakarois vivent de ce marché depuis un bon nombre d’années. Les chiffres restent confidentiels, mais il y’a bien des ventes qui se font et des carrières florissantes. Regardez Cheikhou Bâ, Alexis Peskine, Omar Victor Diop, Soly Cissé,Alun Be, Malick Welli,Ndoye Douts, le regretté Ndary Lo … Dakar est un laboratoire…
Nous manquons de textes et de traçabilité par rapport à nos arts. Parfois l’histoire est écrite, parfois elle est éclatée. Je persiste Il ya un marché de l’art au Sénégal et il est dynamique, d’ailleurs de nouvelles galeries viennent d’ouvrir dans la capitale. Aujourd’hui les grandes foires d’Art Contemporain comptent des artistes sénégalais. Les artistes sénégalais touchent l’international.»
Musée des Civilisations Noires
« Je l’ai visité en partie. C’est un beau projet. Il ya beaucoup de choses à dire mais on ne va pas rester dans la critique.C’est un projet pensé par Senghor, bâti par Wade, abouti par Macky Sall. Il ya un comité composé d’expertsqui le pilotent. Les gens ont beaucoup polémiqué sur l’esthétique, le fait que ce soit construit par des chinois etc. Au-delà de l‘ouvrir dans la précipitation, sur un temps politique, il faut le dire, c’est un projet avec de nombreux défis à relever pour les équipes du ministère de la culture. Avec le projet de restitution du Président Macron, il va falloir aussi faire de la place aux œuvres.Au musée, il ya des œuvres anciennes et d’autres contemporaines, je trouve cela intéressant, ça crée un dialogue et amène un public plus large. Cela permet de dépoussiérer les œuvres du passé et de faire découvrir la scène actuelle. Pour moi c’est un projet à construire dans le temps, qui demandera beaucoup d’énergie et de réflexion
Il faudrait plus d’espaces d’exposition à Dakar, la demande est forte. Les artistes se plaignent de ne pas avoir de lieux où exposer. Pourtant il existe des espaces : la Galerie Nationale, le centre Blaise Senghor, le Monument de la Renaissance, la Place du Souvenir,etc. Ce sont des murs qui appartiennent à l’Etat et qui sont peu exploités. Peut-être faudrait-il revoir le processus de recrutement et mettre des personnes plus sensibles aux arts et aux questions relatives à la gestion des biens culturels.Et surtout avec une bonne formation dans l’administration culturelle.
Il est plus facile de voir ce qui se passe sur la scéne culturelle dakaroise au Goethe et à l’Institut Français, comme toujours, que dans des espaces qui nous appartiennent. Le Musée des Civilisations Noire n’est pas censé répondre à toute cette demande. Ce n’est pas son rôle, cela va brouiller les pistes et amener des frustrations ».
Les animations avec les enfants
« Dans cet espace de Ouakam, je veux pouvoir accueillir les enfants. J’aimerais que comme pour moi lorsque j’étais plus jeune, ils puissent accéder à la culture sans qu’ils aient besoin de débourser d’argent. Avant à Dakar, il yavait des cinémas de quartier, des activités culturelles pour les enfants. Depuis que nous avons ouvert Ponctuation, les enfants viennent en sortant de l’école. Je ne suis pas encore allé voir les établissements scolaires de la zone, mais déjà ils ont cette habitude. J’aimerais mettre en place des ateliers d’arts plastiques pour les enfants et je sais que les artistes joueront le jeu. Les gens de Ouakam, contrairement à ce qu’on pourrait croire, connaissent l’art et la culture. Dakar a toujours été dynamique. Ce que nous faisons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité. Il faut être humble et arrêter de croire que tout a commencé il y a peu de temps. »
L’avenir
« Vue l’engouement que connaît l’art grâce aux nouvelles technologies, à l’entrée des jeunes dans le milieu, aux nouvelles galeries, on ne peut qu’aller de l’avant. Dakar, c’est Dakar qu’on le veuille ou non ! Les gens de partout regardent de loin ce qui se passe sur la scène dakaroise. Je suis optimiste pour l’avenir. Reste encore à ce que les institutions jouent, elles aussi, le jeu ! »
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