Hot! Eriq Ebouaney

Eriq Ebouaney

J’ai découvert Eriq Ebouaney il y’a dès années de cela, dans le film Lumumba réalisé par Raoul Peck. Il interprétait alors le rôle du feu Premier Ministre Congolais, principale figure de l’indépendance. Aujourd’hui c’est à la Boite à Idée, treize ans plus tard, que je rencontre l’acteur français. De passage à Dakar pour le tournage d’un film, Eriq était venu visiter l’espace WakhArt, accompagné d’Ami Sarr, mon amie d’actrice. Après un ndogou quelques peu inhabituel mais fort sympathique, nous avions convenu de nous revoir quelques jours plus tard, pour une interview depuis la terrasse du Djoloff à Fann Hock…

 

 

Qui es-tu ? Et comment te définis-tu ?

« Je me présentes,

Eriq Ebouaney, je me considère comme un éveilleur de conscience. Par ce que c’est ma mission. J’aime bien essayer de gratouiller pour essayer de faire prendre conscience aux gens de ce qui se passe dans le monde, dans leurs vies et dans la société. Et à travers mon métier d’acteur essentiellement. »

Depuis combien de temps es tu dans le métier ?

« Je fais çà depuis une petite quinzaine d’années. J’ai commencé vraiment à m’y mettre en 1999/2000. Avant je ne prenais pas çà au sérieux. J’étais commercial… Je faisais partie d’une petite troupe de théâtre.  Je faisais çà pour m’amuser. C’était un divertissement, plus qu’un job. C’est à partir de mon premier film dans un rôle principal, Lumumba. Ah ce moment je me suis dis : « Tiens on peut vivre la vie de quelqu’un d’autres et être payé pour çà. Partager des émotions, c’est génial… »

Quel est le rôle qui t’as plus marqué ?

« Le rôle qui m’a le plus marqué… le premier rôle… Il m’a permis de comprendre comment fonctionner ce métier. Et ca m’a permis de retrouver l’africanité en moi et de me reconnecter à mes racines… Parce que je suis quand même un afro européen. Je suis né en France et j’ai grandi en France, de parents camerounais. Cette conscience là, de mon africanité, je l’ai eu après avoir interprété Lumumba.

A ce moment là, j’ai réalisé que ce personnage, qui était une figure emblématique  africaine. Qui était l’équivalent de Martin Luther King ou Malcom X.  Moi qui suis d’origine africaine qui ai fait mes études à paris, je n’en avais jamais entendu parler… J’ai trouvé çà assez injuste. Ca m’a profondément agacé, voir choqué… Je me suis aperçu que cette partie de l’histoire avait été éludé… On n’en parle pas dans nos livres d’histoires.

Cette période post colonialiste n’existe pas. Dans mes livres d’histoires on ne raconte rien de ce qui s’est réellement passé. Je me suis aussi aperçu que tout ce qui s’était passé il y’a 60 ans en Afrique était toujours d’actualité.  Tout ca m’a profondément révolté. Il est temps qu’en Afrique, les gens puissent prendre conscience de la façon dont les politiques nous traitent, dont les richesses sont pillées et exploitées en occident. Ca a éveillé en moi ce qu’est d’être africain… »

Donner envie d’interpréter d’autres rôles du genre?

« C’est vrai,  qu’à partir de là,  j’ai été plus curieux et intéressé par la politique africaine. Alors qu’avant je m’en foutais royalement. Je voulais savoir comment la société évoluait, pourquoi il y’avait des conflits. Je ne pouvais plus me contenter des discussions oisives autour d’un bon verre… Aller profondément vers les gens, et comprendre comment ils avaient envie de faire évoluer les choses. Et essayer de les aider à aller jusqu’au bout.

Ne pas faire comme on fait nos ainés, ne pas être sous perfusion du système occidental. De ne pas attendre l’aide ou l’encouragement… On peut faire aussi les choses par nous même. J’essaye de détecter et d’être à l’affut de talents ou d’artistes africains avec qui je peux éventuellement collaborer ou avec qui je suis sur la même longueur d’onde.

À part çà, mon implication est limitée parce que ca ne m’intéresse pas. Après avoir joué Lumumba, je ne vois pas quel autre personnage je pourrais jouer. Après c’est vrai, que pas mal de réalisateurs africains, m’ont envoyés des idées de projets, des scénarios sur Sékou Touré et plein de personnages comme ca. Je ne peux pas tous les faire, et puis y’a d’autres acteurs.

Et en même temps, je ne comprends que ça leur ai donné  de se mettre à l’idée d’écrire sur cette tranche de l’histoire. Mais moi à part ca je ne m’intéresse pas trop aux politiques… J’ai envie que les mentalités changent… Aussi bien des politiciens que des peuples. Je suis sur qu’à travers le cinéma et la tv, on peut faire évoluer les mentalités. Quand j’étais gamin, je voyais peu de visage noir à la tv en France. Aujourd’hui, y’en a un peu plus. Ces visages servent d’exemples pour la jeunesse. On peut rêver de n’être pas seulement un sportif ou un musicien. On peut rêver aussi d’être acteur, policier, juge et j’en passe. »

Comment tu choisis tes films. ?

« Mon agent fait un premier tri. Mais en générale, je suis ouvert et disponible aux propositions. C’est totalement subjectif. Ma ligne éditoriale, c’est qu’il ne soit pas trop politique, trop sociale. Faut que ca reste du cinéma et de la fiction. Que le public rentre dans une histoire et Qu’à travers cette histoire on puisse toucher des points politiques sociales etc… Mais avis aux scénaristes, j’attends toujours de faire mon premier film romantique. » Rire.

Et ton rôle dans Case Départ ?

« C’était vraiment un truc de Copain. Je suis très pote avec Thomas Ngijol et Fabrice Eboué. On fait partie de la Mafia Camerounaise de Panam. Même s’ils ont tendance à me considérer comme l’ainé. Je trouve ca respectable. Je ne suis pas l’ainé de beaucoups. Mais ils m’appellent tonton, grand frère. Quand ils ont eu envie d’écrire ce film… Ils m’ont tenu au courant au fur et à mesure. Et j’ai eu envie de participer à l’aventure pour les soutenir.

Là ils en sont à leur deuxième film, les crocodiles du Botswanga. Ecris par Fabrice Eboué. Thomas Ngijol joue le rôle principal… Ca va être un film qui va énormément faire grincer et beaucoup faire rire. Ca va faire du bruit. Ca parle de corruption et de football en Afrique. Je les aime bien en tant qu’artiste et J’ai confiance en leur univers. J’y vais les yeux fermés à chaque fois. On l’a tourné l’année dernière à Cuba et en Afrique du Sud. Le film est prévu pour Février 2014 en France. »

Il y’aura une sortie africaine ?

« Oui comme à chaque fois, on essaye de le faire sortir en Afrique. Mais la grande tristesse, c’est qu’il n’y a de moins en moins de salles de cinéma en Afrique. Au Sénégal, au Gabon, au Cameroun. Les seuls lieux de diffusion sont les instituts français. C’est d’une grande tristesse. On est encore sous perfusion. C’est eux qui décident des films qu’ils diffusent.

Alors qu’à un moment donné, il faut que nos hommes politiques sachent que la culture c’est important, que le cinéma c’est important. Donc il faut faire quelque chose. Que les investisseurs privés s’y mettent. On a besoin d’une salle de cinéma bon dieu… On ne va pas me dire qu’il n’y’a pas un africain à travers le monde, qui peut investir dans une salle de cinéma. Ne serais ce au Sénégal pour commencer. Deux footballeurs peuvent avec une semaine de salaire, construire une salle de cinéma. Je veux bien être le parrain, même si je n’ai pas les mêmes salaires qu’eux. » Rire. « Donc c’est possible. Il y’a des films, il y’a des artistes. Mais il y a des moyens pour les faire exister pleinement et pas de lieux pour les diffuser.  Et c’est dommage.

L’année dernière je suis venu sur un tournage et j’ai trouvé un vivier d’acteur incroyable. J’ai collaboré à un film d’Hubert Laba Ndao, Dakar Trottoirs produit par mon frère Moctar Ba. On a rencontré des jeunes acteurs aux potentiels incroyables. Le scénar* est géniale. Tous se passent à Dakar. Et Dakar est mis en lumière à travers ce film, avec une histoire sociale forte, qui apporte un brin d’espoir.

Il faut qu’il y’est une prise de conscience de la ville de Dakar, du gouvernement sénégalais pour détecter des talents, pour essayer de les encourager, pour que se soit un tremplin d’un rayonnement de la culture sénégalaise voir africaine à travers le monde. On s’extasie devant le cinéma asiatique, iranien. L’Afrique est aux oubliettes. Quand on parle d’Afrique, on ne parle que de guerre, de famine, de terrorisme. C’est lamentable. Il faut qu’on rayonne différemment. A part le sport et la musique, il faut qu’on puisse exister à travers  notre culture. Il faut qu’il y’est plus de film, avec plus de diversité. »

 

 

Est-ce que tu as participé à des productions américaines ?

« Oui j’en ai fait quelques unes. En fait, je fais un film africain par an. Une fois que je l’ai fait. Je passes  à autre chose. C’est la petite graine que je pauses. L’année dernière c’était Dakar Trottoirs. C’est vraiment un film qui me tient à cœur. Sinon je viens de finir un film d’un réalisateur américain McG, le réalisateur des drôles de Dames. Le film s’appelle Three days to Kill avec Kevin Costner dans le premier rôle. Sinon j’ai fait des productions du type ; Hitman, Transporteur 3, Kingdoms of Heaven.

Je travailles  manifestement à 70% en anglais. Le cinéma Français au niveau de son imaginaire est très limité. Quand on est noir, il faut faire rire, ou ne rien faire. Je ne suis pas un acteur comique. Je suis juste un acteur qui essaye de transmettre des émotions. En France, on a du mal à imaginer qu’un noir peu être médecin ou un personnage qu’on rencontre en Métropole. Ca va changer, mais les choses prennent du temps. La venue d’Omar Sy… Acteur de talent. Il serait temps qu’on lui propose d’autres rôles, que le clown de service. Joey  Starr qui commence à se faire sa place. Mais c’est très limité. Il faut qu’il y est plus de réalisateur noir en France. »

Qu’est ce qui t’a  fait venir à Dakar ?

« Je suis venu à Dakar, parce que je suis en tournage avec Jimmy Jean Louis et Adel Bencherif, sur un film d’Eric Bartonio. 419 est un film français qui traite de la mafia Nigériane, et tous les trafics autour de la mafia Nigériane, trafics de femmes à travers l’occident. Liya Kebede joue le rôle principal. Abdel Chérif est un jeune  espoir du cinéma français. Il a joué dans Le Prophète et Des hommes et des Dieux. Le film déménage ! Il traite de sujet fort. Mais en même temps c’est du cinéma. On a commencé le tournage à Paris.

On tourne la section Africaine à Dakar, parce qu’il faut avouer qu’en Afrique Francophone,  c’est l’un des rares lieux ou on a des paysages magnifiques et des techniciens d’un professionnalismes, qui laisseraient certains techniciens français sur le carreaux. Ils ne se plaignent pas. Là on est en période de Ramadan, les gars jeûnent et bossent de 7 heures du matin à 19 heures, et y’en a pas un qui se plains . Quand on est capable de travailler dans ce genre de condition. On se demande pourquoi on n’est pas capable de faire des films africains. C’est un exemple de dévouement, qui laisse sans voie. »

Est-ce que tu as envie d’écrire ?

« Non, je n’ai pas envie d’écrire parce que je suis un fainéant. Parce que je travailles qu’entre action et coupé. Le reste du temps je rêvasses… quand on fait acteur, contrairement à ce que les acteurs disent, le seul moment ou travail vraiment c’est quand on dit action faut donner, quand on dit couper, faut arrêter. Je ne veux pas être réalisateur, ni scénariste. Y’en a qui font très bien çà et moi j’ai rien de vitale à raconter… Donc l’écriture non. Mais là je suis entrain de tâter un peu la production. J’essaye de mettre en commun des talents. D’essayer de trouver des talents potentiels pour les mettre ensemble et faire une bonne cuisine… »

 

 

Quel est le dernier film que t’as vu ?

« De façon officielle.. ; euh je reviens d’un festival de cinéma en Russie. Je voyais 4 films par jours. Je suis resté une semaine et je voyais 4/5 films par jours. On a d’ailleurs primé un film géorgien,  un acteur danois et une actrice polonaise dans les rôles du meilleur acteur et de la meilleure actrice.

En ce moment étant donné que je suis en tournage, je réduis la quantité de film que je vois.. Je regarde des films de mafia… Histoire de me mettre dans le personnage. Tous les films de Scorsese, j’ai revu encore le parrain y’a deux jours…  Et quelques épisodes des sopranos…  l’acteur principal a disparu y’a pas longtemps. Je voulais revoir son type d’énergie. Il joue un mafieux comme rarement on a vu. C’est un type qui est sensible, qui a ses failles, mais en attendant, c’est le type le plus dangereux du coin.»

Quel est le réalisateur avec lequel tu rêves de travailler ?

« Il y’a beaucoup de réalisateurs avec qui j’aimerais travailler. J’ai eu de la chance de travailler avec des Réalisateurs dont quand j’étais enfant, le cinéma me faisait rêver. J’ai travaillé avec De Palma, Ridley Scott. Ca s’est fait comme çà. La chance, le hasard des rencontres, la magie de la vie. J’ai été blessed ! Comme on dit. Dans l’absolu, j’ai envie de dire Spike Lee… Le personnage me plait, son cinéma m’interpelle et me touche. J’ai envie de croiser le fer avec lui.

Qu’est ce qui est le plus difficile dans ce métier ?

« Attendre le prochain rôle. J’essaye de ne pas trop me prendre la tête et de le vivre. »

 

 

As-tu un conseil pour nos lecteurs ?

« Parlez d’art, parlez d’art avec vous-même. Et transmettez-le aux autres. Quelques soit votre niveau, continuez d’exercer votre art. Faut être patient ; C’est sur la longueur qu’on finit par arriver là ou on veut… »

As-tu une parole de sagesse ?

« Je suis pas encore un vieux sage. Je suis trop jeune pour donner une parole de sagesse. Je peux par contre vous donner un conseil que mon père me donner souvent »:

« La vie il faut tous lui donner, comme çà la mort aura peu à vous prendre. »

http://www.eriqebouaney.com/

images par Diattus Design

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