Hot! Ndiouga Benga

Professeur Ndiouga Benga

 

J’ai rencontré le Professeur Benga, dans le cadre de la deuxième édition du Festival Nio Far. Un après-midi d’Avril, Mr Benga me retrouve à la Boite à Idées, afin de répondre à mes quelques questions pour la plateforme culturelle wakh’art.

 

Note du Festival : Professeur au Département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Ses enseignements portent sur l’histoire urbaine en Afrique du XIXème au XXIè siècle. Ses intérêts de recherche font le focus d’une part, sur Citoyenneté, contrat social, Etat­-Nation, dissidences, et d’autre part, sur les politiques culturelles et cultures urbaines (musique, mode, art)

 

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Qui êtes-vous ?

« Ndiouga Benga, enseignant-chercheur au Département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. J’ai fait une partie de mes études à Dakar, avant d’entamer à Paris, à l’Université Denis Diderot, une thèse, toujours en histoire, sous la direction d’une africaniste érudite, Catherine Coquery-Vidrovitch.

La thèse portait sur une analyse comparative de la gestion de villes « à la française », les Quatre Communes, Dakar, Gorée, Rufisque, Saint Louis  du Sénégal avec des villes françaises, toutes colorations politiques confondues, de droite comme Neuilly-sur-Seine ou de la Banlieue rouge comme Aubervilliers, Saint-Denis, de 1924  aux indépendances. C’était une manière de questionner le thème central de la Citoyenneté.

Que veut dire être citoyen au cœur de la contrainte coloniale où la République française agite l’idée de démocratie et dans le même temps s’est taillée un Empire colonial… Comment tout cela était-il vécu par des colonisés ? Rien ne fut acquis, ni garanti, une fois pour toute. L’administration coloniale travaillait à restreindre cette expérience municipale vécue par des citoyens français dans la colonie du Sénégal ? Restreindre cette citoyenneté dans les colonies d’Afrique Noire, ce type de gestion municipale, c’était poursuivre la pérennisation de la domination coloniale ; l’étendre c’était mettre fin à l’Empire. Le juridisme métropolitain introduit après la loi Lamine Gueye d’avril 1946 (qui étendait la citoyenneté à l’ensemble des habitants de l’ Union française) le système du double collège. Pour ce qui concerne la gestion municipale dans les communes dites de plein exercice, le mouvement ne fut étendu qu’en 1955, avec la loi du 18 novembre. Pourtant dans l’entre-deux-guerres, les missions d’inspection envoyées au Sénégal, notamment sous le Front Populaire (mai 1936-octobre 1938), étaient étonnées  de cette capacité d’Africains à faire preuve d’esprit municipaliste. Elles suggéraient même au gouvernement de Léon Blum, président du Conseil, d’étendre cette expérience municipale aux autres communes dites mixtes du Sénégal  (en les transformant en communes de plein exercice) et  au reste de l’espace fédéral (Afrique occidentale française). Blum n’en jugea pas l’utilité.

J’ai poursuivi ce questionnement sur la citoyenneté en l’appliquant dans la postcolonie, à la culture, aux  arts (musique, théâtre et danse), puis plus spécifiquement aux cultures urbaines. Voilà ce que je fais, dans le cadre de mes enseignements et mes recherches, mais aussi de réseaux de recherche en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique Latine. »

 

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En quoi vos recherches et votre expertise peuvent intervenir dans le Festival ?

«  Les organisateurs m’ont proposé  deux interventions, d’une  part sur les questions de l’égalité, du racisme et de la citoyenneté et d’autre part, sur la résistance au Cameroun pendant la période coloniale. Concernant le premier sujet, mon interrogation est  la suivante: comment accepter les autres dans leur différence pour construire un présent et un futur aux Etats-Unis et en France? Dans les deux cas, il s’agit d’un retour du refoulé. Le cas américain nous rappelle, qu’en dépit de la loi sur les droits civiques (1964) qui met fin au système ségrégationniste, de l’élection d’un président noir, Obama (2008), les choses restent fragiles (cas de Rodney King en 1991, Trayvon Martin en 2013 et récemment encore au mois de mars dernier). On voit que l’écrasante majorité de ces populations, descendantes d’esclaves sont encore dans des situations d’infériorité. En France, il s’agit d’une persistance du colonial, sous une forme altérée. La France a rapatrié sur son sol la philosophie juridique, la grammaire de la répression exercée dans ses colonies. Pourtant la Révolution de 1789 mit fin à la situation du sujet  et  de l’esclave. La République coloniale, elle, a théorisé et défendu le racisme d’Etat, pratiqué l’internement, la sujétion, l’exclusion. Maintenant sur son territoire, nous avons les centres de rétention, de dépôt ; on nettoie au karcher ; l’électorat vote Front national à 25%. Les classes dangereuses, les nouveaux ennemis de l’intérieur, les banlieues, les voilées et barbus sont les descendants (africains et arabes) des populations soumises à l’ordre colonial et au Code de l’indigénat. Ils ne sont pas français de pure souche ; ce sont des citoyens de seconde zone, ils ne font pas partie de l’identité française qui se résume à l’Hexagone. Or qu’elle le veuille ou non, l’identité de la France, c’est Clovis, Jeanne d’Arc, mais aussi les descendants d’esclaves des Caraïbes, de ceux qui ont fait les guerres coloniales, ont participé à la libération de la France dans les deux conflits mondiaux de la première moitié du XXè siècle, ont contribué au boom économique des Trente glorieuses. Le mot Franc(e) n’a rien de Gaulois ! C’est cette diversité faite de rencontres, sur des générations, qui fait l’identité française. A défaut de le comprendre, la France risque de s’enfermer sur elle-même et de perdre son âme. Pour cela elle doit sortir de son amnésie et assumer sereinement son histoire (coloniale).

 

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La Résistance au Cameroun. Comment se fait-il que toute cette histoire soit méconnue ?

« C’est l’expression ! Méconnue voire cachée.  Pendant plus de 15 ans (1955-1971), à l’ombre de l’Algérie, la France mène une guerre coloniale, puis néocoloniale qui fait des centaines de milliers de victimes (selon les sources, entre 120.000 et 300.000 morts). Une guerre totalement effacée des histoires officielles, en France comme au Cameroun. Dans ce dernier pays, elle enfanta une terrible dictature. Cette guerre fut menée par les autorités françaises contre les leaders de l’UPC (Union des Populations du Cameroun) qui réclamaient la liberté et la justice. Un à un, ses dirigeants furent assassinés : Ruben Um Nyobé en 1958, Félix Moumié en 1960, Ernest Ouandié en 1971. Comme toutes les figures majeures de la libération africaine, penseurs de premier plan et hommes d’action : le Congolais Patrice Lumumba (1961), le Marocain Mehdi Ben Barka (1965), le Moçambicain Eduardo Mondlane (1969), le Bissau-Guinéen Amilcar Cabral dit Abel Djassi (1973) et plus près de nous le Burkinabé Thomas Sankara (1987). Ceux qui échappèrent à la mort comme le Sénégalais Mamadou Dia (1910-2009) furent emprisonnés pour une longue période. Um Nyobe (1913-1958), chef de l’UPC,  avait entrepris en 1948 de réfléchir sur la situation coloniale et les moyens de s’organiser pour y mettre un terme. Formé à la rationalité paysanne, il s’éveilla à la puissance de l’écriture (sous la maquis), avant tout destinée aux « gens simples » de son temps et en fonction d’eux, préoccupés  par le devenir du Cameroun. L’administration et l’armée française, avec leurs exécutants locaux (gardes civiques, groupes d’autodéfense) ont conduit une effroyable répression dans l’Ouest du Cameroun, en pays bamiléké, dans la Sanaga-Maritime et dans le Mungo : bombardements des populations au napalm (arme de destruction massive), têtes coupées, escadrons de la mort, torture généralisée… Une tragédie. Le terme « pacification » propre au lexique de la conquête coloniale au XIXè siècle fut utilisé. En mai 2009, lors d’une visite à Yaoundé, François Fillon, Premier ministre français affirmait : tout cela, c’est de la pure invention !

Deux choses sont à retenir. Dans le cas spécifique du Cameroun, c’est cette volonté de spolier un peuple de sa mémoire, en disqualifiant ses luttes et en leur affectant des significations différentes de celles dont elles se réclament elles-mêmes. [Pour ouvrir une parenthèse, Mamadou Dia subit le même procédé au Sénégal, après décembre 1962]. Les thèses officielles des autorités coloniales françaises ont paru triompher : les élites modérées (André Mbida puis Ahmadou Ahidjo) furent promues.  Ceux qui ont réclamé la fin de la servitude coloniale ont été frappés de malédiction officielle. Dans un cadre plus général, toutes ces figures rebelles furent confrontées à l’acharnement des puissances impériales et à leurs affidés locaux, dans leur combat pour sortir l’Afrique de la nuit coloniale. Leur pensée en action fut toujours située, incertaine, inachevée. Mais ils nous rappellent qu’il a toujours été possible, hier comme aujourd’hui, de changer le cours des choses, de se mettre debout pour le bien commun, d’avoir prise sur le monde.  C’est cette mémoire qu’il importe de raviver et de servir aux jeunes de l’Afrique d’aujourd’hui, où des potentats en tous genres, autoritaires, prédateurs, dirigent encore nombre de pays (où peu de prix est accordé à la vie) et brident les rêves d’indépendance et de démocratie. C’est cette capacité historique de résistance et d’organisation de sujets (individuels et collectifs) porteurs de projets alternatifs, hier contre les puissances coloniales, aujourd’hui contre la fable heureuse du FMI et de la Banque Mondiale, qu’il convient finalement de retenir. »

 

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Merci pour ces quelques lumières.

Avez-vous des ouvrages à recommander sur ces deux thématiques, qu’aborde le Festival ?

Pour aller plus loin

Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, Vergès Françoise, La République coloniale. Essai sur une utopie. Paris, Albin Michel, 2003

Beti Mongo, Remember Ruben. Paris, Le Serpent à Plumes, 2001

Beti Mongo, Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation, Paris, la Découverte, 2010 [François Maspéro, 1972]

Chaffard Georges, Carnets secrets de la décolonisation, Paris, Calmann-Lévy, 2 vol., 1965 et 1967

Fanon Frantz, Œuvres (Peau noire, masques blancs ; L’An V de la révolution algérienne ; Les damnés de la terre ; Pour la révolution africaine. Ecrits politiques). Paris, La Découverte, 2011

Joseph Richard, Le mouvement nationaliste au Cameroun. Les origines sociales de l’UPC. Paris, Karthala, 1986

Manceron Gilles, Marianne et les colonies. Une introduction à l’histoire coloniale de la France. Paris, La Découverte, 2003

Mbembe Achille, La naissance du maquis dans le Sud Cameroun (1920-1960). Histoire des usages de la raison en colonie. Paris, Karthala, 1996

Obama Barack, De la race en Amérique. Paris, Grasset, 2008 [A More Perfect Union, discours prononcé par Obama, sénateur de l’Illinois, candidat à l’investiture du parti démocrate pour l’élection présidentielle, 18 mars 2008]

Wieviorka Michel, Une société fragmentée ? Paris, La Découverte-Syros, 1996

 

 

Où retrouver le Pr Benga : Département d’Histoire, UCAD B.P. 5005 Dakar-Fann

nabenga@refer.sn / ndiouga.benga@ucad.edu.sn / ndiougabenga@gmail.com

 

 

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